Thursday, February 21, 2008

LA COUPE DE L'AMOUR ET DE LA MORT



«Tristan und Isolde», la septième et sûrement la plus célèbre des opéras de Richard Wagner, est revenue à la scène du Teatro Real de Madrid pour cette saison 2007-2008, pour dix représentations d'exception, sous la direction théâtrale du catalan Lluís Pasqual.
Pour cette histoire d'amour universelle, Lluís Pasqual a choisit de situer temporalement chaque acte dans une époque différente. Le premier acte, à bord du bateau, se situait au XIIIème siècle, époque de l'origine du mythe qui a donné naissance à cet opéra; le deuxième acte, dans le jardin, au XIXème siècle, quand le compositeur a écrit l'opéra; et le troisième et dernier acte, dans ce que pourrait être un hôpital du XXème siècle. Ces évolutions chronologiques contribuèrent à l'intemporalité de l'oeuvre.
Pour cela le metteur en scène a demandé la collaboration de deux artistes bien connus de la scène lyrique: Ezio Frigerio et Franca Squarciapino. Mais si l'astucieuse scénographie de Frigerio était magnifique et donnait autant de cohérence comme d'espace à l'imagination de l'oeuvre, les costumes de Squarciapino n'étaient que complémentaires au travail du scénographe, sans démontrer une grande inventivité. Surtout dans l'acte «moderne» où les «fringues» entre militaire, hospitalier, et excéssivement informel (Isolde avait l'air d'avoir oubliée de mettre son costume et de venir sur scène en survêtement, comme si c'était pour une répétition), contrastèrent avec la puissance scénographique, théâtrale et musicale.
Cette puissance musicale, emblème de l'écriture wagnérienne, était évidemment à l'honneur avec l'interprétation de l'orchestre titulaire du Teatro Real, capable de transmettre, sans défaut, la beauté de cette musique. Malheureusement la direction de Jesús López Cobos sur cette partition n'a pas été toujours la plus appropriée, la conduisant quelques fois trop lentement et souvent avec un tel volume sonore que le public se demandait si les chanteurs étaient des acteurs d'un film muet. Si Wagner a proposé une musicalité pleine de contrastes, à López Cobos, si précieux dans d'autres registres, lui a manqué, cette fois, la subtilité de les restituer en finesse à une oreille sensible et connaisseuse.
Jeanne-Michèle Charbonnet a été une Isolde généreuse, engagée dès le début de l'oeuvre à son personage tourmenté, l'accompagnant avec grande vigueur vocale dans ce parcours initiatique d'amour et de mort. A ses côtés brillait le Tristan de Robert Dean Smith, d'une grande sensibilité interprétative et santé vocale. Alan Titus était un Kurwenal sans ambigüités, juste et avec une force vocale capable de surmonter le trop fort volume de l'orchestre. La tonicité contrastante de ses interventions pendant l'Acte I ont donné place a une richesse plus robuste dans le IIIème. Brangäne, chanté par la mezzosoprano japonaise Mihoko Fujimura, malgré sa superbe interprétation vocale a déçu dans son apport théâtrale, pas très convaincant. Sa gestuelle déclamatoire: les bras ouverts en croix et son rapport presque toujours trop frontal, parlaient d'une attitude théatrale un peu démodé et peu adéquate a cette mise en scène contemporaine.
La basse allemande René Pape a été un Roi Marke d'un grand raffinement vocale et interprétatif, extraordinaire dans la beauté de son chant et dans la noblesse de l'expression de ses sentiments, face à la trahison d'abord et à la compréhension en suite, de son bien-aimé neveu, Tristan. Alejandro Marco-Buhrmester s'imposait par sa présence digne, même dans le petit rôle de Melot, et donnait envie de le voir et entendre dans des rôles plus protagonistes. Ángel Rodríguez et David Rubiera étaient les uniques voix espagnoles de cette production, dans les rôles mineurs de berger et de timonier, rôles joués et chantés avec justesse et engagement, malgré son caractère bref.
Entouré d'une telle équipe, la mise en scène de Lluís Pasqual ne pouvaient être plus riche encore, et les presque 5 heures de cette oeuvre, si elles ne se passaient pas plus vite, au moins étaient appréciés à juste titre, même par un public néophyte. Pasqual nous a laissé sa vision de cette grande oeuvre du répertoire, qu'au-delà de personnelle, passionnelle, Allemande ou Européenne, restait universelle et accessible, par les valeurs qu'elle véhicule: l'Amour, le Eros grec de la Création, et la Mort, passage vers l'inconnu, étape de la sagesse Boudhiste, qu' intéressait tant Wagner.


Teatro Real de Madrid

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